Réponse à une tribune de la Ligue des droits de l’homme qui s’inquiétait des dangers de la méditation de pleine conscience pour les enfants, par Rebecca et Laurent Bègue-Shankland, professeurs de psychologie, universités de Lyon et Grenoble ; Antoine Lutz, directeur de recherche en neurosciences à l’Inserm et à l’université de Lyon-I ; Jean-Gérard Bloch, professeur de médecine, université de Strasbourg et Christophe André, psychiatre

Publié la première fois sur Libération le 12 juillet 2021 et accessible sur Research Gate


La Ligue des Droits de l’Homme (LDH) vient de publier un communiqué mettant en cause la pratique de la méditation de pleine conscience à l’école. Elle y exhorte Jean-Michel Blanquer à fermer les portes de l’Ecole publique à des pratiques jugées non seulement contradictoires avec la laïcité mais aussi potentiellement nocives pour les enfants. D’abord dénoncée comme inefficace, la pleine conscience y est ensuite assimilée par la LDH à une lobotomisation douce : conditionnement avec perte d’esprit critique et assujettissement de l’individu, baisse de la vigilance conduisant les pratiquants vers des états de sujétion narcotique. Ces allégations sont étonnantes et erronées.

La manière dont la Ligue des Droits de l’Homme présente la méditation de pleine conscience et ses effets ne reflète ni les expériences de terrain ni l’état des savoirs scientifiques. Sur le terrain, rappelons que cette pratique consiste à entraîner l’attention sur l’expérience présente, et que, loin de tout conditionnement, elle invite l’individu à conserver une ouverture d’esprit et une sereine curiosité.

Le berceau oriental de cette pratique n’implique pas de dimension religieuse et relève de connaissances sur le fonctionnement de l’esprit et du corps. La méditation est une pratique qui n’est pas fondée sur quelque système de croyance que ce soit et qui est exercée par des personnes de toutes confessions ainsi que des personnes athées. Ce qui est proposé aux enfants à l’école n’est rien d’autre qu’un apprentissage et un entrainement attentionnel ainsi qu’une éducation émotionnelle en proposant de développer la capacité à porter volontairement et durablement son attention sur l’expérience dans l’instant aux sensations dans son corps, à sa respiration, à ses penses, à ses émotions et à les appréhender avec curiosité et bienveillance. Cette attitude contribue é développer la lucidité et le discernement et une meilleure connaissance de son fonctionnement émotionnel, source de sens critique et d’indépendance d’esprit.

Quant à la littérature scientifique consacrée à la méditation de pleine conscience, si l’on se donne la peine de la lire, on est surpris de découvrir que des milliers de recherches ont été publiées sur ses effets dans les champs les plus variés : gestion du stress, dépression, trouble du comportement alimentaire, concentration, bien-être scolaire, qualité de vie de malades chroniques du cancer, sommeil… Par exemple une vaste étude en imagerie cérébrale, le ReSource project dirige par la Professeure Tania Singer en Allemagne et financée par le Conseil de Recherche Européen, a pu démontrer l’impact de différents styles d’exercices de méditation sur la neuroplasticité du cerveau. Une quarantaine de publications scientifiques notamment dans le journal Science Advances ont documenté les effets de cette intervention sur les fonctions exécutives, l’empathie et les comportements pro-sociaux. Lorsque la LDH écrit, sans citer aucune source, que « certaines conséquences préoccupantes de la pratique de la méditation de pleine conscience ont été signalées, conduisant à une dépersonnalisation, à des attaques de panique ou à des épisodes psychotiques », elle mélange l’anecdote aux faits réguliers et instille une panique morale sans aucun discernement. Concernant l’école, il existe pourtant sur le sujet des données publiques internationales, y compris en langue française. Par exemple, des chercheurs de l’université de Genève, sous la direction du Professeur Edouard Gentaz, ont réalisé une synthèse des recherches scientifiques internationale publies entre 2005 et 2017 impliquant 39 études indépendantes. Elle concluait que les interventions basées sur la pleine conscience en milieu scolaire avaient un effet favorable sur le bien-être des élèves, diminuaient la dépression, l’anxiété et certains comportements agressifs. Elle renforçait chez la plupart d’entre eux les capacités attentionnelles, et les résultats scolaires des élèves progressaient par rapport à un groupe témoin. De plus, les élèves qui en bénéficiaient avaient des comportements plus coopératifs et se montraient plus aptes à réguler leurs émotions. Les effets observés étaient notamment attribuables à l’amélioration des compétences psychosociales comme la gestion des émotions, compétences qui font partie du programme officiel de l’Education nationale depuis 2016.

On ne voit donc pas clairement sur quoi repose l’alerte de la Ligue des Droits de l’Homme. La suspicion de l’introduction clandestine d’une orthodoxie bouddhiste à l’école ? La LDH suggère un « pilotage » et un « financement » par l’institut Mind and Life de cette recherche dans laquelle siègent des « émissaires (…) bouddhistes ». Il est important ici d’être factuel en témoignant en tant que scientifiques acteurs de ce champ de recherche depuis de nombreuses années. Nous sommes affectés par le caractère complotiste et imprécis de ce propos car il vise implicitement à instiller le doute sur l’intégrité et l’indépendance des scientifiques impliques dans ces études. L’institut Mind and Life, crée par feu Francisco Varela, directeur de recherche à l’INSERM, a joué un rôle d’incubateur dans ce champ de recherche en organisant des conférences au cours desquelles un dialogue constructif s’est établi entre les traditions contemplatives, notamment de la tradition Bouddhiste, et les traditions scientifiques. Ces conférences ont été co-organisées par des universités réputées comme le MIT, l’université du Wisconsin aux Etats-Unis ou l’université de Strasbourg et ont été l’occasion d’initier et de développer des programmes de recherche scientifique.

La méditation de pleine conscience, introduite par des personnels habilités par l’Education nationale et aujourd’hui souvent expérimentée dans des cadres prudents de recherche et d’évaluation n’a rien à voir avec celle que semble décrire la LDH. Découverte par des centaines de milliers de Français depuis quelques années, la méditation est une pratique intéressante qui peut contribuer à cultiver l’attention et à développer la présence qualitative à soi et aux autres. Par ailleurs, elle ne s’oppose en rien à l’engagement voire à la contestation sociale. Bien au contraire, n’est-ce pas la dérivation de l’attention et l’incapacité à poser un regard distant sur le monde et nous-mêmes qui peuvent nous transformer en citoyens passifs et consentants ? Au regard des bénéfices susmentionnés de la méditation, il est difficile de croire que certains de nos enfants et adolescents ne puissent en tirer grand bénéfice. Des travaux menés par le professeur Gregory Michel de l’université de Bordeaux montrent que cela est particulièrement le cas pour les élèves en difficulté. N’est-ce pas une manière très concrète de promouvoir l’égalité des chances ?


Rebecca Shankland est conseillère scientifique de l’Association SEVE et Christophe André est membre du Conseil d’Orientation de la Fondation SEVE